Migrants, réfugiés et humour de Dieu.
En 1914, Benoit XV lançait la Journée du Migrant et du réfugié dans une Europe en guerre. Un siècle plus tard, la question n’a rien perdu de son actualité. Pour préparer cette journée le pape François avait donné ce message au printemps. En voici de larges extraits :
Le sens ultime de notre « voyage » en ce monde est la recherche de la vraie patrie, le Royaume de Dieu inauguré par Jésus-Christ, qui trouvera sa pleine réalisation lors de son retour dans la gloire. Son Royaume n’est pas encore complet, mais il est déjà présent chez ceux qui notre engagement à construire un avenir qui corresponde davantage au projet de Dieu, un monde où tous peuvent vivre en paix et avec dignité. (…) Mais pour que cette merveilleuse harmonie règne, il faut accueillir le salut du Christ, son Évangile d’amour, afin que les inégalités et les discriminations du monde actuel soient éliminées.
Personne ne doit être exclu. Son projet est essentiellement inclusif et place les habitants des périphéries existentielles au centre. Parmi eux, on compte beaucoup de migrants et de réfugiés, des personnes déplacées et des victimes de la traite. La construction du Royaume de Dieu se fait avec eux, car sans eux, ce ne serait pas le Royaume que Dieu veut. L’inclusion des plus vulnérables est une condition nécessaire pour y obtenir la pleine citoyenneté. Car le Seigneur dit : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli, j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi » (Mt 25, 34-36).
Construire l’avenir avec les migrants et les réfugiés signifie également reconnaître et valoriser ce que chacun d’entre eux peut apporter au processus de construction. J’aime voir cette approche du phénomène de la migration dans la vision prophétique d’Isaïe, dans laquelle les étrangers n’apparaissent pas comme des envahisseurs et des destructeurs, mais comme des ouvriers volontaires qui reconstruisent les murs de la nouvelle Jérusalem, la Jérusalem ouverte à tous les peuples (cf. Is 60,10-11). Dans la même prophétie, l’arrivée d’étrangers est présentée comme une source d’enrichissement : « Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des ont accueilli le salut (…) Son projet implique un processus de construction intense dans lequel nous devons tous nous sentir personnellement impliqués. Il s’agit d’un travail minutieux de conversion personnelle et de transformation de la réalité pour correspondre de plus en plus au plan divin. (…) . À la lumière de ce que nous avons appris par les tribulations de ces derniers temps, nous sommes appelés à renouveler nations » (60,5). En effet, l’histoire nous enseigne que la contribution des migrants et des réfugiés a été fondamentale pour la croissance sociale et économique de nos sociétés. (…) . La présence de migrants et de réfugiés représente un grand défi, mais aussi une opportunité de croissance culturelle et spirituelle pour tous. (…)
Si nous voulons coopérer avec notre Père céleste pour construire l’avenir, faisons-le ensemble avec nos frères et sœurs migrants et réfugiés. Construisons-le aujourd’hui ! Car l’avenir commence aujourd’hui, et il commence avec chacun de nous. Nous ne pouvons pas laisser aux générations futures la responsabilité des décisions qui doivent être prises maintenant pour que le projet de Dieu sur le monde puisse se réaliser et que son Royaume de justice, de fraternité et de paix arrive.
Je n’ai pas grand-chose à ajouter aux propos du pape, qui sont clairs, ni à l’Évangile de ce dimanche, où le « riche » de la parabole n’est pas rejeté pour avoir traité durement le pauvre Lazare, ni pour ne pas avoir « tout donné » aux pauvres, mais pour ne pas avoir fait le geste « possible ». Un geste « possible » qui supposait deux préalables : d’abord que, détournant les yeux un instant de ses propres occupations (et festoyer avec des amis peut être une belle occupation, sans aucun péché en soi !), il jette un coup d’œil sur le pas de sa porte ; ensuite qu’il oublie un peu son trop confortable catéchisme où il avait appris à prier pour que Dieu prenne les pauvres en pitié et leur donne au Ciel ce que nous ne leur donnons pas sur terre. Attention aux paroles qui Jésus prête à Abraham dans cet évangile : on pourrait bien creuser un « abîme » infranchissable si nous pensions que les Saintes écritures « la Loi et les prophètes » peuvent être acclamées le dimanche et ignorées la semaine.
Par ailleurs j’ai pu, en ce même dimanche des réfugiés, vivre une étrange expérience. Pour de multiples raisons je me trouve héberger une famille de migrants. Or j’ai attrapé (ou l’inverse) la Covid. Bref, condamné à la chambre pour plusieurs jours. Toujours est-il que « mes » migrants sont venus spontanément s’inquiéter de ma santé et m’apporter de quoi boire et manger. On rejouait l’évangile du jour ! C’était moi le « pauvre Lazare à leur porte » … Sauf qu’eux, sans doute libérés de la préoccupation de banqueter entre amis, étaient venu voir et s’inquiéter. Je ne sais trop quelle leçon en tirer… Sinon que la vie peut réserver bien des surprises et que nul n’est à l’abri de l’humour de Dieu.
Père Jacques Wersinger