La prière, ensemble ou personnelle, est commune à toutes les religions. Tous les sacrements, particulièrement la messe, sont des prières, le Notre Père, le chapelet, etc. rythment nos journées, et les moines, les religieuses, les diacres et prêtres prient matin midi et soir, parfois même la nuit. Ceci ressemble beaucoup aux prières juives ou musulmanes, ou d’autres religions. Mais y a-t-il une originalité de la prière des disciples de Jésus, et pourquoi demande-il de prier sans se décourager ? Peut-être parce qu’il faut du courage pour persévérer, et trouver du temps au milieu d’autres occupations. Peut-être aussi parce que la prière peut être réduite à son utilité, son efficacité pratique. Prier demande d’avoir le courage de s’en remettre totalement à Dieu pour son jugement ultime de nos actes, et puis agir en conscience. Comme on le voit dans l’évangile : Jésus prie son père avant de prendre de grandes décisions, il cherche quelle est la volonté de son père, pour la mettre en œuvre, mais il ne demande pas au Père ni de réfléchir ni d’agir à sa place.
On sait que Jésus est souvent, et nous aussi j’espère, en prière d’action de grâce. Mais ici il s’agit bien d’une prière de demande. La parabole qu’on vient d’entendre met face à face un juge injuste et indifférent, et « une pauvre veuve » qui n’a aucun pouvoir mais veut qu’on lui rende justice. La conclusion est simple : si même un juge sans foi ni loi finira par rendre justice, combien plus Dieu qui est juste et bon nous écoutera. Donc le contenu de la prière, c’est l’espérance en la justice de Dieu. Ce qui pose une première question : dans notre prière, demandons-nous à Dieu de rendre justice ? Est-ce cela notre demande profonde ? Normalement, des chrétiens doivent être sensibles aux misères et aux souffrances du monde. On ne peut pas être chrétien et indifférent à l’injustice commise envers les petits, les faibles, les pauvres, de toutes manières possibles. Seulement, si nous espérons que Dieu « fera justice bien vite », il y a deux gros problèmes.
Tout d’abord cette justice n’est pas forcément sensible et immédiate. Jésus lui-même mourra apparemment dans le silence de Dieu devant l’injustice qui lui est faite. La tentation, contre laquelle nous prions, est peut-être justement ce « manque de foi » qui nous fait douter de la justice de Dieu, au vu des événements du monde. « Ou est Dieu ? » « Que fait Dieu ? ». Mesurer l’action de Dieu aux résultats apparents peut mener au découragement et au désespoir.
Le second problème, le plus important peut-être, est « suis-je d’accord avec la justice de Dieu ? est-ce que j’ai foi en sa manière de rendre la justice ? Est-ce que j’accepterai vraiment ses jugements ? Déjà nous ne sommes pas toujours d’accord avec les juges terrestres, qu’on estime trop durs trop laxistes. Et Dieu ? C’est sans doute pour cela que jésus s’inquiète : quand il viendra rendre justice, aurons-nous confiance en sa façon de rendre justice ? Jésus se fâche quand les apôtres demandent qu’on fasse tomber le feu du ciel sur les villages inhospitaliers. Ce n’est pas la justice du fils ainé, qui consisterait à punir le fils prodigue. C’est cela la tentation que nous demandons à Dieu de nous éviter : tentation du désespoir, tentation de la vengeance.
La foi que réclame Jésus consiste à faire confiance à la justice de Dieu et non à notre propre justice. La prière est donc bien « que ta volonté soit faite ». Quant aux « règlements de compte, la suite du notre Père est clair : pardonne-nous car nous-mêmes nous pardonnons » On ne demande pas à Dieu de juger avec nos yeux et nos critères, et d’exécuter la sentence que nous sommes trop faibles pour appliquer. On lui demande de juger lui-même. Et nous nous en remettons à sa sentence. On prie pour entrer dans les sentiments de Dieu, et non pour que Dieu entre dans nos sentiments. Et si nous entrons dans les sentiments du Père, nous ne pouvons que lui demander d’être miséricordieux, car il l’est déjà. Et si demander en faveur de l’autre la miséricorde de Dieu ne change rien en Dieu, cela change beaucoup notre cœur. La prière ne vient pas modifier les sentiments de Dieu ou infléchir son action. La prière de Jésus ne lui a pas évité la croix. La prière, dans l’Esprit saint, doit nous aider à entrer dans les sentiments de Dieu et à nous en remettre à lui pour le jugement final de notre vie et de celle de nos frères. La prière du Fils est tout entière dans le « en tes mains je remets mon esprit ».
Père Jacques Wersinger