La parabole doit être comprise dans le contexte. Elle fait suite à cette histoire d’une veuve qui réclame justice à un juge indifférent, et à la parole de conclusion de Jésus « trouvera-t-il la foi sur la terre à son retour. Bien entendu il s’agit du retour au jugement dernier. En effet, nous attendons tous le jugement de Dieu, mais il n’est pas certain que nous acceptions ce jugement, car nous avons souvent une petite idée de qui est juste, qui est injuste, qui devrait être récompensé ou puni. Et quand nous commettons des fautes, des fraudes, des péchés, des entorses à la loi, il arrive souvent qu’on s’en excuse en disant que les autres font pareil ou pire. Bref, voulons-nous vraiment que Dieu juge, ou voulons-nous plutôt qu’il applique nos jugements Dans l’évangile de ce dimanche, qui est la continuité de l’histoire du juge et de la veuve, nous avons deux personnes en prière. Et c’est bien la question de la justice qui est de nouveau posée. Dieu ne peut accueillir la prière de l’homme injuste. C’est le B-A BA de la Bible. Dans cet évangile, rien ne dit si le pharisien ou le publicain sont riches ou pauvres, notables ou du peuple. Et le publicain ne semble pas voleur injuste ou adultère. Juste un fonctionnaire en contact avec les païens et qui récolte l’impôt pour Rome.
A priori, le pharisien est un homme juste. En effet, il fait vraiment des efforts, et on peut penser que, selon les lois en vigueur, c’est quelqu’un d’irréprochable. Mais il commet sans doute trois erreurs de jugement. La première, c’est d’oublier que la conformité aux lois et règlements ne signifie pas qu’on a fait tout ce qu’on devait faire ! La loi est tout entière contenue dans l’amour de Dieu et du prochain. Or l’amour va bien au-delà des lois. Nous aimons toujours insuffisamment. Nous donnons toujours trop peu. Comme dit la bible, « le juste pèche sept fois par jour ». Jésus montrera que pour accomplir vraiment la Loi d’amour il faut parfois transgresser les règles, comme ces familles qui contrairement à la loi cachaient des juifs pendant la guerre. Bref, on ne fait jamais tout ce que la charité nous commande de faire. Si nous avons une conscience, elle aura toujours quelque chose à nous reprocher. Donc première illusion : se croire juste devant Dieu parce qu’on a fait des efforts. Et ainsi le pharisien n’a même plus besoin de la bonté et de la miséricorde de Dieu, puisqu’il est parfait
La seconde erreur est de juger sans savoir. Cet homme ignore tout des conditions dans lesquelles d’autres se trouvent. Il est facile d’être un type « bien » quand on a eu une bonne famille, une bonne éducation, de beaux exemples sous les yeux, etc. Que sait-il de la vie des autres ? Bref n’attribuons pas à nos mérites personnels ce qui résulte surtout des circonstances, de la chance, de la providence, ni à la perversité ce qui relève pour d’autres d’un autre environnement, d’une autre histoire. Il juge de l’extérieur, sur l’apparence. Seconde erreur.
La troisième erreur, bien entendu, c’est la comparaison, et son résultat. Je te rends grâce de ne pas être comme les autres. Peut-être que le publicain aurait très bien pu, dans sa prière, remercier Dieu de ne pas être comme ce pharisien hypocrite, imbu de lui-même, confit en dévotions et indifférent aux autres. Mais non. Ce n’est pas le péché des autres qui l’intéresse, et il sait que ce n’est pas une excuse pour ses propres fautes. La prière chrétienne est une prière en communion, en solidarité, les uns pour et avec les autres, et non une prière totalement autonome ou pire, méprisante. L’action de grâce pourrait être accompagnée d’un regard bienveillant sur son frère le publicain. De demander à Dieu sa bienveillance aussi. Dieu ne nous juge pas par comparaison avec les autres, et nous invite chacun à répondre à son amour bienveillant comme nous sommes, là où nous en sommes. Et si le Seigneur invite mon frère à monter plus haut, et moi à descendre un peu, je lui fais confiance. C’est lui le juge, et pas moi. C’est en son jugement que j’ai foi, non dans le mien.
Nous en arrivons à la conclusion. Il faut laisser Dieu juger et ne pas nous substituer à lui, ni pour juger les autres, ni pour nous juger nous-mêmes. Chacun dans son style, avec son histoire, est en même temps pécheur et enfant de Dieu. Jésus est venu « être comme les autres », tendre la main aux pécheurs et manger avec eux, non les juger de haut. Et c’est une bonne nouvelle pour nous, car tous nous sommes pécheurs, en pensées, en action, et en omission.
Père Jacques Wersinger